L'argent arrogant

S’il est une période de ma vie que je souhaiterais reprendre c’est bien mon adolescence.  Je n’en ai évidemment pas que des mauvais souvenirs, mais j’aimerais bien en effacer quelques bouts de film.  Je pense en particulier à un échange avec mon père qui avait mal tourné.  Il venait de perdre son emploi depuis quelques semaines.  Je m’étais trouvé un travail d’étudiant à un poste d’essence au bord d’une autoroute et je gagnais pratiquement autant d’argent qu’il pouvait en recevoir de ce qu’on appelait encore à l’époque « l’assurance-chômage ».  Je pouvais me procurer tout ce que je voulais : cigarettes, vélo, vêtements, etc. sans lui demander quoi que ce soit.  Le problème est venu quand j’ai décidé d’acheter « ma » propre sorte de fromage.  J’ai réalisé plus tard à quel point je l’avais humilié par cette attitude arrogante parce qu’il n’aurait pas eu les moyens d’en acheter lui-même pour toute la famille.

Ce n’est pas l’argent en soi qui fait problème.  C’est la suffisance qu’elle procure et l’arrogance qu’elle finit tôt ou tard par susciter.  C’est vrai pour les individus et tout aussi vrai pour les états.  C’est très facile de se mettre au service de l’argent pour devenir plus autonome, pour ne dépendre de personne, pour s’acheter l’affection des autres, pour être « quelqu’un ».  La frontière n’est jamais bien étanche entre la fierté d’une réussite économique et l’orgueil qui génère le mépris des moins favorisés.  Bien sûr, on peut être riche et généreux, mais l’évangile est truffé de mise en garde contre les tentations puissantes qui viennent avec l’argent.

Pour être fils et fille de Dieu, si riche que l’on puisse être, le Christ nous dit qu’il faut avoir un cœur de pauvre et le souci constant de la justice.  La vie chrétienne n’est pas compatible avec le repli sur soi et l’indifférence, non plus qu’avec la suffisance et l’arrogance que le cumul des biens alimente trop souvent.  Lc 16, 1-13