Détourner le regard
- Édouard Malenfant, dir
- il y a 6 jours
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Je devais avoir une dizaine d’années. C’était l’été et nous nous promenions encore tard à bicyclette après souper dans le rang poussiéreux dans lequel j’habitais. Jérôme vivait dans l’ancienne école de rang, à trois maisons de chez-moi. Ses parents et lui y avaient aménagé l’automne précédent. Ce soir-là, on a entendu un bruit sourd inquiétant et des cris. Je venais juste de rentrer. On est sortis aussitôt et on a vu de loin un nuage de poussière. Jérôme venait de se faire frapper par une voiture, juste dans la courbe avant d’arriver chez lui. Il y avait du sang et des tas de gens autour qui pleuraient. Jamais je n’oublierai ces images.
Je me souviens que j’étais comme paralysé, incapable de regarder la scène et envahi d’un épouvantable sentiment d’impuissance. Les policiers ont fini par arriver et nous ont dit de rentrer chacun chez nous. Je me souviens d’avoir très peu dormi cette nuit-là. Je m’en voulais beaucoup, De n’avoir pas pu soutenir mon regard. De ne pas avoir accompagné Jérôme chez lui avant de rentrer chez moi. Mais c’était trop tard. Chaque fois que je passe à côté d’un itinérant, c’est ce flash qui me revient. Il m’arrive évidemment de donner et parfois pas. À la fin de mes journées, il m’arrive souvent de revoir le visage de ces personnes si démunies et de me demander pourquoi je suis passé tout droit.
L’évangile de ce dimanche m’interpelle fortement. Il est très concret, très facile à saisir. Le Christ s’identifie au pauvre, au méprisé, aux victimes d’abus et de violence. Mais nous sommes tant conditionnés à fermer les yeux, à détourner le regard, à nous justifier de notre indifférence qu’on s’imagine pouvoir suivre le Christ sans pleurer un peu avec ceux qui pleurent et sans souffrir un peu avec ceux qui souffrent. Nous avons vraiment besoin d’être guéris. Lc 10, 25-37

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